Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Désenchantement amoureux, frénésie sexuelle : la faute aux #SitesDeRencontre ?

Publié le par Isabelle DEMETTRE

Les sites de rencontre permettent de prendre des libertés sexuelles. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils bousculent les normes, affirme la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette. 

LE SEXE SELON MAÏA

« C’était mieux avant » : la formule est consacrée, exprimant la nostalgie d’un âge d’or sexuel à tout jamais perdu (années 1950, années 1970, Grèce antique, France libertine : comme les yaourts, les âges d’or sexuels se déclinent en tous les goûts). Depuis ce mystérieux « avant », la sexualité aurait été massacrée par la marchandisation, le féminisme, la pornographie, la science, la politique, le sida, le lobby queer, le chômage, et bien sûr Internet.

Quitte à oublier que, dans le même temps, on a inventé des broutilles comme le vibromasseur, le lubrifiant à base de silicone, la pilule bleue, la substitution hormonale, la méditation orgasmique, oh, et aussi, on a presque commencé à entrevoir le moment où l’on pourrait tolérer le concept d’orientation sexuelle (139 agressions physiques sur des homosexuels en 2018 en France).

La vision des collapsologues du sexe dessine un scénario déprimant : entrée dans la sexualité par la pornographie, intégration de normes outrancières, sexualisation précoce, culte de la performance, désinvestissement amoureux, accumulation d’aventures d’une nuit, fantasmes exponentiellement violents, incapacité à s’engager, installation d’un donjon dans son garage, euh, fin du monde. Dans ce paradigme, la responsabilité d’Internet intervient à tous les niveaux : dans l’initiation sexuelle (via le porno), dans la facilitation des pratiques elles-mêmes (via les sites de rencontre), dans la rupture des liens existants (via la tentation d’aller voir ailleurs).

Face au catastrophisme ambiant, on s’autorisera donc une solide portion de tartelette à la framboise pour accompagner la lecture d’un essai qui vient de paraître aux éditions La Découverte : Les Nouvelles Lois de l’amour (20 euros, 228 pages), par Marie Bergström, sociologue du couple et de la sexualité. En parcourant cette enquête très documentée, nous entrons dans un univers qui suscite la méfiance : celui des sites et applications de rencontre.

Antichambre de l’enfer

Les changements que ces plates-formes induisent sont l’objet de discours angoissés : chiffres gonflés, fuite des données, faux profils, inégalité des chances, marchandisation de la rencontre, réduction de l’individualité à une vignette, vulgarité, harcèlement, rancœur (et bien sûr donjon, fin du monde). L’ouvrage de Marie Bergström permet de répondre à un paradoxe : si les sites de rencontre sont l’antichambre de l’enfer, pourquoi ont-ils autant de succès ? Si on n’y trouve pas l’amour, et que l’accès à la sexualité y reste une demi-promesse, pourquoi s’infliger tant de déceptions ?

Parmi les multiples réponses qu’apporte l’essai, l’une nous démange là où ça gratte, parce qu’elle nous renvoie à nos responsabilités. Selon Marie Bergström, le déplacement de la rencontre permet en effet d’échapper à la scrutation opérée par nous, vous, moi. La sociologue remarque ainsi que « les rencontres faites au sein d’un cercle d’amis, de connaissances ou de collègues ne sont jamais chose anodine mais sont un objet de curiosité, de conversation et parfois de contestation. Les partenaires sont souvent invités à rendre compte de leurs actes devant un entourage qui exige sinon un droit de regard, au moins un droit de savoir ».

Vus sous cet angle, nos différents âges d’or se ternissent cruellement. Etait-ce vraiment « mieux avant » quand notre accès à des partenaires sexuels se déroulait sous le regard des parents, et/ou des collègues, et/ou des amis, et/ou des camarades d’école, et/ou du village ?

Même si l’on peut douter de l’existence d’individus qui réellement, sexuellement, n’auraient jamais rien à cacher, certaines catégories de la population souffrent particulièrement de nos ingérences (plus ou moins bienveillantes) : les homosexuels, bisexuels, transsexuels bien sûr, mais aussi les personnes évoluant dans le même bureau, la même école, la même université, le même club de sport, sans compter les infidèles et les adeptes de pratiques socialement condamnées. Internet sert autant à trouver des partenaires sadomasochistes hors de son cercle de sociabilité qu’à acheter sa cravache en ligne sans devoir se justifier dans la boutique d’équitation du centre-ville. Sur les sites de rencontre, les chances de tomber sur quelqu’un qu’on connaît sont assez limitées.

Désir de discrétion

Ce désir de discrétion sexuelle ne touche pas que des minorités (sachant qu’on parle de grosses minorités : en France, le tiers des femmes et la moitié des hommes ont déjà été infidèles). Le groupe le plus concerné est, en effet, celui des femmes hétérosexuelles. Encore aujourd’hui, ces dernières, et notamment les plus vulnérables d’entre elles (de par leur jeunesse, leur pauvreté, leur handicap, le contrôle ou le paternalisme de l’entourage) ne peuvent pas se livrer à une vie sexuelle aventureuse sans se voir rappelées à l’ordre. Certains proches feront des remarques sur la réputation, d’autres s’inquiéteront de la sécurité des rencontres. Certains se moqueront, d’autres insulteront. Sans parler des violences physiques.

En l’occurrence, les sites de rencontre permettent de prendre des libertés sexuelles que notre société, prétendument libérée, ne donne pas, ou seulement du bout des lèvres, ou pas à tout le monde, ou de manière conditionnelle – pour offrir des bulles de résistance à la scrutation publique.

Et ça marche : sur les sites ou applications dédiés, les rencontres deviennent sexuelles plus rapidement qu’ailleurs, et même plus rapidement que sur Facebook ou les réseaux sociaux. 31 % des couples formés sur des sites de rencontre ont couché ensemble la première semaine, contre 8 % de ceux rencontrés sur le lieu de travail (enquête EPIC, INED-Insee, 2013-2014). De fait, sur ces plates-formes, il n’y a pas d’ambiguïté. On sait ce que les autres usagers viennent chercher, et même si les gros acteurs du marché se gardent de toute mention explicite, le sexe y tient une place cruciale : 51 % des utilisateurs ont déjà connu une aventure de courte durée, mais seulement 19 % une aventure de longue durée.

Lire la suite sur : Lemonde.fr

Commenter cet article